Interview Elina Dumont
Solidarité

Interview Elina Dumont, force et passion

J’ai eu le plaisir de m’entretenir longuement avec Elina Dumont. Elle m’a confié son histoire avec force, passion et beaucoup de poésie. J’ai retranscrit l’interview de la manière la plus brute possible et j’ai effacé mes interventions pour faire toute la place qu’il mérite à son récit.

Je vous laisse avec Elina Dumont :

Je m’appelle Elina Dumont et sur décision de justice, j’ai été placée, à l’époque on disait DDASS, à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Ma mère avait de graves problèmes psychiatriques et à mes 10 ans et demi, elle est décédée. Je suis devenue pupille de l’État. Alors certes, j’avais de la famille, mais ils n’avaient pas le droit de m’adopter. À 15 ans, j’ai été exclue du système scolaire parce que soi-disant j’avais de graves problèmes. Jeune, issue de l’aide sociale à l’enfance… Je me suis retrouvée à la rue, voilà, et c’est pour ça qu’il y a autant de gamins à la rue. J’ai plus d’un demi-siècle, donc je vous raconte des choses anciennes mais qui arrivent toujours aux jeunes d’aujourd’hui. Il y a énormément de jeunes à la rue qui sont issus de l’aide sociale à l’enfance. 

L’important, même si votre mère est alcoolique, même si votre père est alcoolique, c’est que l’enfant garde le lien avec les parents. Je suis heureuse d’avoir eu, d’avoir connu, ma mère, jusqu’à mes 10 ans et demi. Je peux vous assurer que j’en suis très heureuse. On m’a retiré à ma mère, elle n’avait pas le droit de savoir où j’habitais quand ils m’ont envoyé dans une famille d’accueil en Normandie. Elle m’aimait, elle. Elle n’a jamais signé l’abandon. C’est pour ça que quand je suis devenue pupille de l’État, je n’étais pas adoptable. Et ça arrive toujours en 2021, comme je le dis dans mon rapport (Rapport de mission : Femmes à la rue).

À mon époque, c’était très rare de voir une femme à la rue. Maintenant il y a les femmes battues. A mon époque c’était tabou, elles restaient chez elles. Il y a aussi les jeunes rejetés à cause de leur orientation sexuelle. Aujourd’hui il y a une association que j’apprécie beaucoup, qui s’appelle Le Refuge, mais à mon époque tout ça n’existait pas. Quand j’avais 18 ans, on ne le disait pas. On ne disait pas : « Maman, papa, j’ai quelque chose à vous dire, je suis lesbienne ou je suis homosexuel. ».

On est en 2021 et je m’aperçois qu’il y a de plus en plus de sans abri. 

De 18 ans à 19 ans, j’ai fait de la rue sèche. J’étais dans un foyer au Mans et ils m’ont dit un jour qu’il fallait que je parte. Mais moi, j’étais une gamine, je ne savais pas où aller… Alors quand ils m’ont mis à la porte, j’ai pris un train pour Paris. Je suis arrivée en pleine nuit, il devait être 23h. J’ai fait ma première nuit dans la rue, puis deux, puis trois, quatre, cinq… Je m’en rappelle plus trop, mais en tout cas, j’ai commencé à avoir très peur. J’étais une femme dans la rue, très jeune, je venais de province, je ne connaissais pas du tout Paris, je l’avais juste vu à la télé : la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, tout ce qui brille… Je me suis aperçue qu’il y avait quand même des hommes bizarres. Et là, je me suis dit, Elina, il faut que tu trouves des ruses. J’ai rencontré une fille qui s’appelait Isabelle, on est devenues copines. Elle était régulièrement à la porte parce que sa mère était alcoolique. Elle était très belle et m’a proposé d’aller dans les boites de nuit qui étaient gratuites pour les filles. J’ai toujours adoré danser donc je dansais, on me payait des verres… 

Un jour, j’étais assise sur un banc à République. C’était à l’époque où il y avait encore la pelouse. À l’époque, on était plein de sans-abris sur la place. J’attendais, mais je ne savais pas quoi, je n’attendais pas en fait, j’attendais rien, j’étais assise. Je ne savais pas quoi faire de ma vie. Et puis il y a un homme qui est venu me voir et qui m’a proposé d’aller boire un café. Et j’ai continué d’utiliser cette technique après, donc je faisais semblant attendre quelqu’un… Vous pouvez essayer, même encore en 2021. Vous attendez 20 minutes à République, vous êtes sûr qu’une personne va venir vous voir. Ça marche à tous les coups ! 

Entre mes 18 ans et mes 19 ans j’ai rencontré ce qu’on appelle aujourd’hui des clochards, des personnes complètement désociabilisées. Ils m’aimaient bien et pour eux, j’étais la gamine. Et puis un jour, je buvais beaucoup avec eux et il y en a un qui m’a donné des cachets. Je suis encore aujourd’hui incapable de vous dire ce que c’était. Je suis tombée dans les pommes, les pompiers sont arrivés et je me suis retrouvée dans un hôpital. J’étais nourrie, blanchie, je dormais enfin.  

J’allais régulièrement à l’hôpital et le dernier que j’ai fait c’était Sainte-Anne. Ils ont été outrés qu’une gamine de 19 ans soit à la rue. Du coup, ils ont appelé la directrice de l’Aide Sociale à l’Enfance parce qu’ils savaient que j’étais pupille de l’État. Et c’est comme ça que je me suis retrouvée de 19 ans à 21 ans, sous tutelle d’un juge. Le juge s’appelait Hervé Hamon et il m’a dit « Écoute Elina, on veut bien s’occuper de toi mais il y a une seule condition : que tu ailles voir le psychiatre 3 fois par semaine.» . J’ai accepté. Et même si au début, dans ma petite tête, je disais : Attends l’autre, il m’envoie voir le psychiatre, qu’est-ce que j’en ai à ***. Je peux vous assurer qu’aujourd’hui, je ne remercierai jamais assez ce monsieur de m’avoir obligé à aller voir un psychiatre pour me soigner parce qu’en fait je ne m’en rendais pas compte, mais j’étais une gamine complètement paumée. 

Dans mon rapport je dis bien que c’est dommage qu’en France, seul un juge, puisse obliger à aller voir un psychiatre. On ne sait pas forcément qu’on va mal. Moi j’ai des amis, ils ne savaient même pas qu’ils déprimaient. Quand vous êtes dans la rue, c’est encore pire et je trouve ça un peu dommage. Souvent les travailleurs sociaux me répondent, mais Elina, c’est aller contre les libertés individuelles. Mais moi si le juge il ne m’avait pas forcé, je serais morte, parce que faut pas oublier qu’à l’époque, j’étais tombée dans le crack et dans l’alcoolisme. Je serai peut-être une clocharde morte dans un caniveau à 30 ans. Vous voyez ce que je veux dire ? Il m’a sauvé. En fait, il m’a sauvé malgré moi. 

Aujourd’hui pour aider les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance après 18 ans, il existe le contrat jeune majeur. Mais le problème, c’est que pour avoir un contrat jeune majeur, il faut avoir un projet et la majorité n’en ont pas. Les enfants qui se retrouvent à l’Aide Sociale à l’Enfance sont des enfants très perturbés. Leurs vrais parents ont été violents, ils se sont retrouvés dans des familles d’accueil et des foyers pas toujours géniaux…  Sur un plan scolaire ça ne s’est souvent pas très bien passé. Ils n’ont pas de projet et donc pas de contrat jeune majeur. C’est le département qui valide les projets. Moi je suis pour l’ascenseur social. J’ai rencontré des jeunes qui étaient en contrat jeune majeur et au milieu de leurs études la prise en charge a été terminée… Tout d’un coup, ils n’avaient plus d’hôtel, plus d’étude. Une catastrophe et vous n’avez jamais une réponse claire quant à la raison.

Je ne suis pas allée tout de suite voir le psychiatre. Mais c’est vrai qu’après quand je me sentais seul, je me rappelais que pendant 3 ans, j’allais parler à une femme qui ne me jugeait pas. Quand on est dans la rue, la seule personne qui ne vous juge pas, c’est votre psy. Lui, il ne vous rappellera jamais que vous êtes à la rue. Il vous considère comme un vrai patient.  

Quand vous allez dans un bar et que le barman arrive pour vous servir. Il vous demande juste ce que vous voulez à boire et c’est tout. Tous les gens que j’ai pu rencontrer dans ma vie, je ne leur disais pas que j’étais dans la rue, je mentais. Je disais que j’habitais près de Vincennes. J’ai rencontré des personnes qui m’ont proposé de faire des ménages, des baby-sittings, des déménagements, des livraisons. Alors à l’époque, pour vous dire que je suis vieille, je faisais des livraisons de charbon pour les appartements… Il avait encore les poêles, donc je livrais des petits sacs de charbon. Je faisais tous les petits boulots qu’on me proposait.

J’ai rencontré Jean-Marc d’Entourage un peu par hasard, lors d’une soirée à laquelle j’étais invité par Françoise Bettencourt. Et quand j’ai vu Jean-Marc qui était interviewé par rapport à son projet, Entourage qui crée du réseau pour ceux qui n’en ont pas, j’ai couru dans l’escalier et je suis allée le voir. J’étais troublée parce qu’il avait lu des articles sur moi et j’étais tellement d’accord avec lui. Entourage m’a beaucoup plu, parce que c’est vrai que moi en fait je le sais avec l’expérience de ma vie, que malheureusement être sans abri c’est une très grande solitude et ceux qui ne s’en sortent pas c’est parce qu’ils connaissent personne. Je travaille à Entourage depuis longtemps et il y a plein de sans-abris qui font partie du comité de la rue, dont je suis la vice-présidente, et qui depuis qu’ils sont au comité de la rue, ont trouvé des amis. Certains ont trouvé un logement, certains ont trouvé un boulot et donc ça prouve bien que ça peut marcher.  

Interview Elina Dumont

Dans le rapport que j’ai écrit pour la Région Île-de-France, il y a 29 recommandations. Moi, j’ai dit à Madame Pécresse, je ne vous cache pas que je l’appelle Valérie, donc j’ai dit : « Valérie, écoute, moi je préfère en faire que 29, mais qu’elles puissent être possibles. ». Alors évidemment, il y a des recommandations qui ne dépendent malheureusement pas de la région, mais qui dépendent de l’État. Par contre, rien n’empêche la Présidente de la Région de remonter mes recommandations à l’État. Il y a des recommandations qui dépendent du département, par exemple l’Aide Sociale à l’Enfance, c’est le département. J’ai mis 2 ans à l’écrire ce rapport parce que je voulais vraiment qu’il soit utile. Je ne voulais pas être juste récupérée par les politiques. Je travaille beaucoup avec la Belgique et la Suisse pour que ce soit complet. 

Il y a une recommandation qui me tient particulièrement à cœur dans ce rapport c’est la pérennité. Parce pourquoi je suis restée plus de 15 ans sans domicile fixe ? Vous êtes à la rue, vous appelez le 115, il faut déjà quelques jours avant que le 115 vous trouve un endroit pour 2 jours. Après ces 2 jours, vous retournez à la rue. Après, on vous trouve un petit CHU, un centre d’hébergement d’urgence dans lequel vous restez dès fois 8 jours, dès fois 15 jours, ou moins longtemps. Une fois que c’est fini, vous retournez à la rue. Après vous faites des squats, dès fois un monsieur vous héberge quelque temps puis vous largue…  Après, il y a ce qu’on appelle la trêve hivernale avec toutes les paroisses qui ouvrent. Mais à la fin de la trêve c’est terminé : tout le monde dehors. On ne peut pas se réinsérer. Toujours entre 2 centres. On se dit qu’est-ce que je vais manger, où je vais dormir ce soir… Vous pensez franchement qu’on a le cerveau libre pour trouver du travail, pour aller à Pôle Emploi ? C’est juste la survie : où dormir, où manger et où être en sécurité ? Et quand on est une femme, la sécurité, c’est multiplié par 1.000 parce qu’une femme seule allongée dans la rue… Et les femmes sans abri avec enfant se cachent car elles ont trop peur qu’on leur enlève… Donc la pérennité c’est le plus important. Et pour répondre à ça, on a créé les Maisons Solidaires. 

Il y a un autre sujet qui me tient très à cœur, peut-être parce que j’ai été exclue du système scolaire et que parce que peut être que si j’avais fait des études, il ne me serait pas arrivé tout ce qui m’est arrivé. Il faut que l’institution prenne en charge les décrocheurs scolaires parce que dès qu’on est décrocheur scolaire, on devient un jeune errant et à 18 ans, même en 2021, on devient SDF. Je peux vous raconter le parcours par cœur et ça fini mal. Moi, j’ai fini avec les toxicos dans les squats. À 15 ans, on est encore un môme. Peut-être que si on est né dans la bonne famille, qui vous a bien éduqué, avec un bon environnement alors c’est différent. Mais quand on vient d’où je viens… À 15 ans j’ai été abusée par tout le village et je croyais que c’était normal… Tous ces gamins qui n’ont pas la chance d’avoir eu un bon environnement ou la chance d’être bien éduqués, d’avoir accès à la culture, d’avoir accès au savoir. Je peux vous assurer que quand ils deviennent décrocheurs scolaires, s’ils ne sont pas rattrapés, ils feront n’importe quoi, ils seront influençables et ça finira très mal. Pour la drogue, au début je faisais le facteur parce que j’avais une tête bien blanche et je ne me faisais jamais contrôler. Puis j’ai gouté au crack, et re-gouté… Au bout d’un an j’étais devenue accro ! On peut se faire avoir facilement et on a aucun parent pour nous arrêter. L’adolescence est un moment très fragile. Et il y a les familles monoparentales avec des femmes qui se lèvent à 4 heures du matin pour faire des ménages. Le but ce n’est pas de les stigmatiser mais de les alerter, de leur faire comprendre : « Attention votre gamin il commence à devenir guetteur, ça risque de finir en prison ou pire… ».  Il faut une vraie aide à la parentalité. Quand j’ai abandonné l’école tout le monde s’en foutait, la DDASS ne m’a jamais appelé, ils ne se sont même pas rendus donc que je n’étais plus à l’école entre mes 15 ans et mes 18 ans. Il faut qu’on travaille plus en amont en France.  

De manière globale, même si la crise change la donne, je reste quand même convaincue que si on a un entourage et un réseau solide on peut s’en sortir. Sauf qu’on est dans une société qui s’individualise de plus en plus. Avant le facteur famille était très fort alors que maintenant les familles sont de plus en plus décomposées. Je souhaite une société fraternelle, voilà c’est le mot le plus important : fraternelle. La solidarité et penser aux autres.  

 

J’ai été heureuse de partager ce témoignage poignant d’Elina Dumont avec vous. Pour soutenir son combat, vous pouvez :

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